La chasse au caribou, à Tshinuatapish

Segment 1

Les chiens aboyaient, les gens riaient et un bruit rĂ©gulier rĂ©sonnait non loin – boum, boum, boum, boum. Les femmes et les filles les plus âgĂ©es du camp rĂ©duisaient la viande sĂ©chĂ©e de caribou en niueikanatNiueikanat désigne de la viande de caribou séchée et réduite en poudre.1 qui serait ensuite stockĂ©e pour ĂŞtre mangĂ©e plus tard Ă  l'automne.

Boum, boum : l'Ă©cho renvoyait le bruit d'un cĂ´tĂ© Ă  l'autre du lac. La brume du petit matin persistait au-dessus de l'eau, mais les sommets des collines perçaient la brume et rĂ©vĂ©laient les brillants Ă©clats rouges du thĂ© du Labrador et les couleurs d'automne d'autres buissons.

Plusieurs tshinashkueutshuap (tipis) entouraient un grand shaputuanLe shaputuan est une grande habitation multifamiliale qui possède deux ou plusieurs cheminées. Les Innus construisaient ces bâtiments pour les fêtes et pour sécher de grandes quantités de viande que l'on pendait à des tringles fixées au plafond. On a retrouvé les restes de shaputuan à de nombreux sites archéologiques de la péninsule du Québec et du Labrador.2 situĂ© au milieu du camp. Chaque famille avait Ă©rigĂ© un teshipitakanLes teshipitakan sont des plates-formes construites quelques mètres au-dessus du sol, au sommet de 3 ou 4 chicots, ou ont l'aspect d'une structure de tipi sans revêtement. Ils sont toujours importants pour les Innus — chaque camp en possède au moins un — parce qu'ils maintiennent la nourriture hors de la portée des chiens et des animaux sauvages. Autrefois cependant, ils ne constituaient pas un obstacle pour le rusé carcajou, qui pouvait y grimper facilement et forcer les caches les plus solides. Les teshipitakan sont parfois installés sur des îles pour mettre les denrées hors de la portée des ours noirs.3 pour faire sĂ©cher la viande et tenir la nourriture et les vĂŞtements hors de la portĂ©e des chiens.

La grand-mère, Anitshishkueu, et les jeunes enfants étaient partis cueillir des uishatshimina (grains rouges) et les derniers inniminana (bleuets) avant la venue de la neige.

Shimiu, sa famille et d'autres membres du groupe Ă©taient Ă  Tshinuatipish, sur le bord du lac Mushuau-nipiLe nom officiel du Mushuau-nipi (« lac de la terre dénudée ») en français est « Lac de la Hutte Sauvage », et en anglais « Indian House Lake ». Jusqu'à récemment, c'était un lieu de rencontre extrêmement important pour de nombreux groupes innus, qui s'y rendaient pour intercepter le caribou de la rivière George pendant sa migration.4, depuis le dĂ©but septembre. « Que c'est merveilleux ici, songeait Shimiu, et que c'est passionnant de voir les hardes de caribous traverser le passage Ă©troit devant le camp. Â»

MĂŞme s'il Ă©tait satisfait de la vie sur les terres dĂ©nudĂ©es, Shimiu ressentait une profonde tristesse dans son cĹ“ur. « Oh, nishim Shutit me manque, se lamentait-il, cette petite me manque beaucoup. Elle avait tellement d'Ă©nergie. Elle ne se plaignait jamais lorsqu'il faisait froid, et elle faisait rire tout le monde avec ses grimaces et ses taquineries. Â» Shutit Ă©tait morte de la mikusheun (rougeole) l'Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dent, alors qu'ils Ă©taient au poste de traite de Utshimassit, et le père O'BrienMonseigneur Edward Joseph O'Brien est né à Carbonear (Terre-Neuve) en 1884. Il a commencé à Ĺ“uvrer comme missionnaire chez les Innus du Labrador en 1921.5 les avait aidĂ©s Ă  l'enterrer lĂ -bas dans le cimetière.

Video [Basse vitesse]Video [Haute vitesse]

Shimiu allait bientĂ´t commencer sa première chasse au caribou avec les hommes. Son grand-père, AtikaAtika et son épouse Anitshishkueu sont des Innus qui ont vraiment existé mais leur rapport avec les personnages de ce scénario sont fictifs.6, l'avait bien prĂ©parĂ© Ă  cet Ă©vĂ©nement. « Mon petit-fils, ton père va s'asseoir Ă  la proue du ush (canot), et toi au centre. Je vais pagayer Ă  l'arrière. Nous allons nous diriger d'un cĂ´tĂ© du caribou, pendant que Nui et Antane viendront de l'autre cĂ´tĂ©, dit-il. Quand j'en donnerai l'ordre, ton père le visera Ă  l'arrière, entre les omoplates, avec sa shimakan (lance).

« Mais il devra faire très attention, poursuivait-il. Il devra lire le langage gestuel du caribou. Si celui-ci nous regarde par derrière, c'est qu'il songe Ă  la meilleure manière de nous donner un bon coup de patte ou de nous frapper de ses bois. Â»

La première fois, Shimiu fut choqué lorsque son père atteignit un caribou. Un énorme jet de sang lui trempa les bras et lui éclaboussa même le visage. À la fin de la chasse, le devant du canot était inondé du sang foncé du caribou.

Pendant qu'ils tiraient le caribou vers le rivage, Atika Ă©voquait des souvenirs : « Il n'y a pas si longtemps, nous tuions beaucoup de caribous Ă  l'est d'ici. Nous construisions des manikan (corrals) oĂą nous dirigions les caribous afin qu'il soit plus facile de les atteindre Ă  la lance. Mais nous n'avons pas eu besoin d'aller lĂ -bas ces dernières annĂ©es parce que nous avons pu attraper assez de caribous ici dans ce passage Ă©troit. Â»

Un soir, ils cĂ©lĂ©brèrent le succès de la chasse d'automne par un joyeux makushanMakushan est le nom de la fête traditionnelle innue où l'on consomme le atiku-pimi (gras des os de patte de caribou) ainsi que la viande de caribou.7 tenue dans le shaputuan . Le grand-père Atika jouait du tambour, pendant que tout le monde dansait en tournant dans le sens des aiguilles d'une montre autour de deux feux, au centre du bâtiment. La mère de Shimiu, Shanimen , dansait en mimant une perdrix, agitant les bras de haut en bas de chaque cĂ´tĂ© et faisant mine de voler autour du cercle. Son Ă©poux Kanikuen criait et riait, avançant d'un pas traĂ®nant et balançant les mains d'un cĂ´tĂ© Ă  l'autre, comme s'il partageait la viande de caribou avec les membres du groupe.

Après la fin de la danse au son du tambour, la grand-mère Anitshishkueu raconta des histoires sur la rencontre avec des Innus du Sud, qui Ă©taient venus Ă  Mushuau-nipi chasser le caribou. Ils avaient troquĂ© des raquettes et de la viande contre du thĂ©, du tabac et des munitions. Atika, de son cĂ´tĂ©, raconta l'histoire de trois  Kakeshau (hommes blancs) tĂŞtus qui Ă©taient arrivĂ©s Ă  la fin septembre en demandant comment se rendre Ă  Nutakuanan-shipu* Un groupe d'Innus rencontra Herman J. Koehler et Fred Connell (tous deux du New Jersey, aux États‑Unis), ainsi que Jimmy Martin (le guide de Cartwright) sur la rivière George à la fin septembre 1931. Comme le racontait le défunt Tshishennish Pasteen, qui était présent à la rencontre, le chef du groupe, Herman J. Koehler, avait une dent en or. Il refusa de suivre les conseils des Innus qui recommandaient d'aller vers la côte en passant par Emish (Voisey's Bay). Les petits étangs étaient déjà gelés, et les visiteurs n'étaient pas équipés pour affronter le froid. M. Koehler semblait vouloir absolument atteindre la côte par la Nutakuanan-shipu*, qui n'est pas navigable dans sa partie supérieure en aval de Kanakashkuaikanishit*. C'est pourquoi les Innus donnèrent à M. Koehler le surnom de Nutakuanan . On ne revit jamais les trois hommes vivants, et l'on ne récupéra que deux cadavres au cours des années suivantes. 8. Ils n'avaient pas Ă©coutĂ© les sages conseils qu'on leur avait donnĂ©s, et au printemps suivant, oncle Mishtauiapeu et tante Manishan avaient trouvĂ© le corps de l'un d'entre eux près de la piste de Mishta-nipi.




Notes de bas de page

1 Niueikanat désigne de la viande de caribou séchée et réduite en poudre.

2 Le shaputuan est une grande habitation multifamiliale qui possède deux ou plusieurs cheminées. Les Innus construisaient ces bâtiments pour les fêtes et pour sécher de grandes quantités de viande que l'on pendait à des tringles fixées au plafond. On a retrouvé les restes de shaputuan à de nombreux sites archéologiques de la péninsule du Québec et du Labrador.

3 Les teshipitakan sont des plates-formes construites quelques mètres au-dessus du sol, au sommet de 3 ou 4 chicots, ou ont l'aspect d'une structure de tipi sans revêtement. Ils sont toujours importants pour les Innus — chaque camp en possède au moins un — parce qu'ils maintiennent la nourriture hors de la portée des chiens et des animaux sauvages. Autrefois cependant, ils ne constituaient pas un obstacle pour le rusé carcajou, qui pouvait y grimper facilement et forcer les caches les plus solides. Les teshipitakan sont parfois installés sur des îles pour mettre les denrées hors de la portée des ours noirs.

4 Le nom officiel du Mushuau-nipi (« lac de la terre dénudée ») en français est « Lac de la Hutte Sauvage », et en anglais « Indian House Lake ». Jusqu'à récemment, c'était un lieu de rencontre extrêmement important pour de nombreux groupes innus, qui s'y rendaient pour intercepter le caribou de la rivière George pendant sa migration.

5 Monseigneur Edward Joseph O'Brien est né à Carbonear (Terre-Neuve) en 1884. Il a commencé à Ĺ“uvrer comme missionnaire chez les Innus du Labrador en 1921.

6 Atika et son épouse Anitshishkueu sont des Innus qui ont vraiment existé mais leur rapport avec les personnages de ce scénario sont fictifs.

7 Makushan est le nom de la fête traditionnelle innue où l'on consomme le atiku-pimi (gras des os de patte de caribou) ainsi que la viande de caribou.

8 Un groupe d'Innus rencontra Herman J. Koehler et Fred Connell (tous deux du New Jersey, aux États‑Unis), ainsi que Jimmy Martin (le guide de Cartwright) sur la rivière George à la fin septembre 1931. Comme le racontait le défunt Tshishennish Pasteen, qui était présent à la rencontre, le chef du groupe, Herman J. Koehler, avait une dent en or. Il refusa de suivre les conseils des Innus qui recommandaient d'aller vers la côte en passant par Emish (Voisey's Bay). Les petits étangs étaient déjà gelés, et les visiteurs n'étaient pas équipés pour affronter le froid. M. Koehler semblait vouloir absolument atteindre la côte par la Nutakuanan-shipu*, qui n'est pas navigable dans sa partie supérieure en aval de Kanakashkuaikanishit*. C'est pourquoi les Innus donnèrent à M. Koehler le surnom de Nutakuanan . On ne revit jamais les trois hommes vivants, et l'on ne récupéra que deux cadavres au cours des années suivantes.

Suivant   Précédent  Haut de la page